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  • : Le blog de pierre verhas
  • : Blog consacré à l'actualité dans les domaines de la politique et de l'astronomie, vus au sens large. Ce blog n'est pas neutre : il se positionne à gauche, de philosophie laïque et donnant la primauté à l'expérience sur la spéculation. Ce blog est ouvert au débat, à l'exception des invectives, des attaques personnelles et des insultes qui seront systématiquement rejetées afin de permettre à chacun(e) de débattre en toute liberté et dans la sérénité qui n'exclut en rien la passion.
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18 décembre 2009 5 18 /12 /décembre /2009 11:10

 

Le résultat de la votation suisse sur les minarets a été un électrochoc salutaire : elle a réveillé une opinion endormie sur un débat qui s’enlisait : la cohabitation de l’Europe et de l’Islam.

 

Des dogmes s’opposent depuis trois décennies dans ce débat sans conclusions. D’un côté, le dogme d’un « Occident assiégé » face à un Islam intolérant ayant pour objet de détruire nos valeurs menacées. De l’autre, le dogme du Musulman persécuté, haï, interdit d’exercer librement son culte et de pratiquer ses lois. Comme tous les dogmes, ceux-ci sont dictés par la peur et par la haine.

 

La votation suisse voulue par un parti populiste est le fruit de ces deux sentiments. Faut-il pour autant rejeter toute forme de référendum ? Certains, parmi ceux qui hurlent à l’imposture face aux résultats de la votation helvète, revendiquaient en d’autres temps le référendum d’initiative populaire. Cette attitude dénote de la malhonnêteté intellectuelle polluant ce débat. La démocratie directe ou représentative ne se partage pas et il faut avoir le courage d’aborder toutes les questions, surtout les plus délicates.


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Le référendum suisse : un électrochoc ?

L’enjeu est le suivant : parviendra-t-on à vivre « ensemble » entre deux communautés de cultures différentes que l’histoire a souvent opposées ? Il n’y a que deux possibilités, après avoir chassé les a priori de part et d’autres : l’intégration ou la société multiculturelle.

 

Les a priori ? Le dogme de « l’Occident assiégé ». Franklin D. Roosevelt dit dans son discours de prise de fonction du 4 mars 1933 : « La seule chose dont nous devons avoir peur est la peur elle-même. » Or, il semble qu’il y a toujours eu besoin de peur pour motiver les décisions les plus importantes. Peurs fictives pour la plupart et lorsqu’une crainte était fondée, on ne s’en soucia guère. Ainsi, la Seconde guerre mondiale avec son cortège de tragédies eût pu être évitée. Ici, cependant, il s’agissait d’une peur à l’égard d’une partie de l’Occident lui-même. On craignait d’ailleurs plus le communisme que le fascisme dans les milieux décideurs de l’époque. Sans doute est-ce une explication.

 

Après la chute du nazisme, une autre peur, déjà existante, domina : celle du communisme représenté par l’Union Soviétique qui aurait constitué une menace majeure pour l’Europe de l’Ouest qui venait d’être libérée. Or, les démocraties populaires portaient leur perte en elles-mêmes. Economie inefficace, sous-investissements, moyens ruineux consacrés à la défense servant avant tout de police interne de « l’empire », course effrénée aux armements imposée par la diplomatie dite de la terreur, autrement dit par l’adversaire capitaliste, les Etats-Unis d’Amérique. La chute de cet « empire » était dès lors inéluctable.  Et ce fut de l’intérieur que l’effondrement se produisit.

 

Nul, après près d’un demi-siècle de « guerre froide », n’osa déduire l’évidence : cette peur était injustifiée.

 

La crainte du communisme, désormais sans objet, fit place à une autre peur : celle de l’Islam. À nouveau la forteresse assiégée. À nouveau la logique binaire : l’Occident face à l’Orient. Cette appréhension est due à plusieurs facteurs : le conflit du Proche Orient qui s’éternise, l’immigration arabo musulmane, l’instabilité des principales zones d’approvisionnement énergétique des pays industrialisés. Elle a une apparence : la déferlante de l’Islam radical.

 

Cette peur a connu son paroxysme le 11 septembre 2001. L’hypermédiatisation de cette tragédie et son exploitation idéologique servirent à justifier deux guerres coûteuses, sans objectifs clairs, sans fin et sans vainqueurs. Ce ne sont plus des guerres idéologiques comme le furent celles de Corée et du Vietnam, mais des conflits marqués par « l’affirmation identitaire des puissances, qui s’appuient sur des civilisations millénaires. Il ne s’agit plus de la guerre froide d’antan. En effet, les puissances qui s’affrontent ne se fondent plus sur des systèmes idéologiques antagonistes, mais sur leur héritage historique, leur culture, voire leur religion, même si les intérêts économiques ne sont jamais très loin. » ([1])


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Le 11 septembre : une crainte excessive ? 


On est donc en plein « choc des civilisations ». Cet ouvrage de Samuel Huntington, professeur à l’Université de Harvard, membre du parti démocrate, récemment décédé, dont le titre exact The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order est plus explicite. Ce livre servit de base idéologique aux néoconservateurs américains (
[2]). Il part d’une erreur historique fondamentale dénoncée par Henry Laurens et consorts dans leur ouvrage « L’Europe et l’Islam » ([3]) selon
laquelle, il n’y aurait pas eu de contacts entre les différentes « civilisations » avant l’époque moderne. Dès lors, les « civilisations » se seraient développées chacune de leur côté et c’est la « civilisation » occidentale qui se serait avérée la meilleure de toutes. Aujourd’hui, celle-ci est en lutte avec les "civilisations" islamiques et chinoises pour conclure : « L’avenir des Etats-Unis et celui de l’Occident dépendent de la foi renouvelée des Américains en faveur de la civilisation occidentale. Cela nécessite de faire taire les appels au multiculturalisme à l’intérieur de leurs frontières. Sur le plan international, cela suppose de rejeter les tentatives illusoires d’assimilation des Etats-Unis à l’Asie. Quels que soient les liens économiques qu’entretiennent les sociétés asiatique et américaine. Le fossé culturel majeur qui les sépare excluent qu’elles se rejoignent. » ([4])  L’Asie ici est comprise ici dans son ensemble continental de l’Asie mineure à l’Extrême orient. Laurens, Tolan et Veinstein répondent : « S’agit-il de deux civilisations rivales, comme l’affirme Huntington, fondées sur des idéologies universalistes, concurrentes dans leurs ambitions expansionnistes, qui se heurtent en brandissant les bannières de la croisade et du jihad ? Ou plutôt, comme le soutient l’historien Richard Bulliet, de deux branches d’une même civilisation « islamo-chrétienne », dont les racines s’enfoncent profondément dans un héritage religieux, culturel et intellectuel commun : la civilisation méditerranéenne et proche-orientale antique, la révélation biblique, la science et la philosophie grecque et hellénistiques ? Cet héritage commun se serait renforcé, pendant quinze siècles, grâce aux échanges ininterrompus de denrées, de personnes, d’idées. »

 

Sans ces échanges, ce qu’on appelle la « civilisation occidentale » aurait mis bien du temps à décoller, voire même aurait-elle existé ? Il est convenu que Copernic, le chanoine polonais, par sa découverte de l’héliocentrisme, déclencha le processus du progrès scientifique à l’origine de la société occidentale moderne. Pourtant, il doit tout à l’astronomie arabe. « L’astronomie moderne a une dette essentielle envers les Arabes. Pierre Simon de Laplace, grand astronome français du début du XIXe siècle, écrit au livre V, chapitre IV de l’exposition du système du monde : « C’est principalement aux Arabes que l’Europe moderne doit les premiers rayons de la lumière, qui ont dissipé les ténèbres dont elle a été enveloppée pendant plus de douze siècles. Ils nous ont transmis avec gloire, le dépôt des connaissances qu’ils avaient reçues des Grecs disciples eux-mêmes des Egyptiens. » En Islam, comme en Occident, la physique était celle d’Aristote. Averroès dont le nom arabe est Ibn Rushd (1128-1198), grand juriste à Cordoue, fait remarquer les erreurs dans les excentriques et les épicycles de Ptolémée. Il écrit : « L’astronomie actuelle n’offre aucune vérité et concorde seulement avec les calculs théoriques, pas avec ce qui existe réellement. » » ([5]) Copernic s’inspira de la pensée d’Averroès et par après des travaux de l’école de Maragha, école et observatoire fondés dans la localité portant ce nom dans le Nord de l’Iran actuel par le petit-fils de Gengis Khan. Sans cette pensée et ces travaux, Copernic n’aurait jamais abouti à sa théorie de l’héliocentrisme.


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Sans les Arabes, Copernic n'aurait rien
découvert.
 


En outre, aujourd’hui, on a établi les frontières des « civilisations ». Ce fut d’abord « l’axe du mal » cher à Bush junior. Aujourd’hui, l’Occident, c’est en gros les Etats-Unis, l’Europe occidentale à laquelle on accrocha l’Europe centrale, Israël, le Japon, la Nouvelle Zélande, l’Australie. On a maintenu l’OTAN comme entité de défense de cet ensemble. La Russie devient à nouveau, dans l’esprit des responsables occidentaux, une puissance hostile. Le Maghreb, principal réservoir de main d’œuvre d’Europe occidentale, est considéré comme dangereux et est placé sous surveillance. A cela, il faut bien sûr ajouter le Moyen Orient qui concentre à la fois les principales réserves d’hydrocarbure et les pires forces du mal représentées par Al Qaïda et l’Iran. Le reste du monde - l’Inde, l’Amérique latine, l’Asie du Sud Est - fait l’objet d’une vigilance méfiante.

 

Ainsi au face à face Est Ouest s’est substitué l’affrontement de l’Occident contre quasi le reste du monde. C’est devenu le prêt à penser d’intellectuels médiatisés en France comme BHL. Tout cela est irrationnel : aucune base historique, économique, politique, philosophique ne justifie pareille division du monde. C’est le refus d’un monde diversifié, multipolaire, complexe, donc riche en cultures au profit d’un seul modèle culturel occidental. Remarquons au passage que les intellectuels anglo-saxons sont bien plus prudents que leurs homologues français sur cette question.


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Peut-on faire confiance en ce
donneur de leçons ?


Comment veut-on, dans un tel contexte, qu’il y ait une réelle entente entre les populations d’origines diverses en Europe ?

 

Il ne faut pas s’en cacher. Toute la problématique vient de l’immigration arabo musulmane. Celle-ci a commencé dans les années soixante, années de haute conjoncture où on manquait de main d’œuvre. A l’époque, il n’y avait pas de politique d’immigration et tout s’est fait dans la confusion, ce qui a entraîné la « ghettoïsation » soit dans les villes, soit dans les banlieues. Alors que cette immigration était légale au départ, elle est devenue clandestine et les crises économiques et sociales des deux décennies 1980-2000 n’ont fait qu’accentuer ce phénomène, sans compter que trois générations ont fait souche sans réellement s’intégrer. Dès lors, par la prolétarisation, la marginalisation, ajoutées à une hostilité à l’égard de leur culture et de leur religion, les populations immigrées se sont isolées. Aussi, les relations avec les autochtones devinrent de plus en plus difficiles et un affrontement majeur n’est pas à exclure.

 

Cette situation généra des préjugés au sein de la population arabo musulmane immigrée en Europe ([6]). Ils sont nés pour la plupart de frustrations. La première d’entre elles est bien sûr la « ghettoïsation ». Rien n’a été fait sur le plan de l’urbanisme pour favoriser l’intégration. Sur le plan social, les immigrés arabo musulmans ont été les premières victimes de la crise, au point que dans ce qu’on appelle pudiquement « les quartiers », on atteint des taux de chômage de l’ordre de 40 %. Quant aux jeunes « issus de l’immigration » (autre euphémisme), ce ne sont que les « petits boulots » qui s’offrent à eux. Le taux de scolarité et d’alphabétisation est bien en deçà des valeurs décentes que l’on pourrait attendre d’une société qui se prétend moderne, ouverte et démocratique.

 

Aussi, les conséquences en sont inéluctables. Pauvreté, trafic de drogue, constitution de bandes, zones de non droit, ou plutôt zones où seules les règles des bandes sont en vigueur.  Il serait plus juste de dire zones de non Etat. Les « émeutes » qui secouent régulièrement les « quartiers » n’en sont qu’un épiphénomène. Sur le plan personnel, les jeunes beurs sont désocialisés. Leurs parents, eux-mêmes précarisés, ne peuvent rien faire. Ils subissent  souvent sans broncher cette situation intenable. Sur le plan spirituel, ils sont à la merci de ce qu’Henri Goldman appelle « les imams de garage ». Et puis, ils font peur car leur comportement et leurs actes sont violents. C’est évidemment cette violence interne et la peur suscitée par le 11 septembre qui alimentent le sentiment de rejet de l’Islam. Celui-ci est tenu comme responsable de ces malheurs. Or, cette « phobie » ne résiste pas – comme toutes les « phobies » - à l’analyse.

 

De là, vient aussi le sentiment de persécution d’une grande partie de la communauté musulmane. S’ajoute à cela une situation internationale qui n’est guère favorable à une entente dominée par le conflit israélo – palestinien. La meilleure manière de comprendre « l’Autre » est d’essayer de se mettre à sa place. Depuis 2000, depuis la « promenade » d’Ariel Sharon sur l’esplanade du Temple (ou des mosquées), les Palestiniens n’ont  cessé de subir les pires humiliations au nom de la sécurité d’Israël. On fait en cette occurrence la propagande du deux poids, deux mesures : les actes terroristes palestiniens justifient une forte politique répressive, les bombardements de Gaza sont une « juste » réponse aux tirs de missiles du Hamas, la construction du mur assure la sécurité d’Israël, la sécurité – encore elle- justifie la politique de colonisation de la Cisjordanie.


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Gaza : cette "justice" ne résoud rien !

Dans ce raisonnement répété à l’envi, le point de vue du voisin n’est jamais pris en compte. La Palestinien n’existe pas et surtout ne doit pas exister. Cela provoque évidemment une réaction : Israël doit disparaître. Israël est considéré comme une verrue dans dar al Islam. Le véritable drame des deux parties est que « l’Autre » n’existe pas.

 

Alors, que faire ?

 

L’intégration, considérée dans les années 1980 – 2000 comme la meilleure manière de cohabiter entre communautés d’origines diverses, a échoué. En réalité, il n’y eut aucun effort sérieux pour y aboutir. Aussi, dès la fin des années 1980, on a vu en Europe occidentale se multiplier le phénomène du voile islamique.  Ce signe a heurté et provoqua une controverse complexe qui n’est toujours pas close. Le voile choqua car il heurta plusieurs sensibilités. Pour beaucoup de femmes occidentales, le voile est un signe de soumission des femmes. Le sens religieux qui lui est donné est considéré comme prosélyte et provocateur. Il est considéré comme portant atteinte à la neutralité de la chose publique dans les écoles et les administrations. On a voulu interdire, les politiques n’ont pas pris leurs responsabilités, on a fait en France une loi d’interdiction du port du voile dans les écoles, loi dont on n’a fait aucune évaluation, la Belgique tergiverse : le Nord est plus sévère que le Sud. Là aussi, c’est la confusion.


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L'interdiction n'est pas une réponse.

Cette absence de décision est responsable de l’agitation déclenchée par les factions les plus extrémistes de part et d’autre. C’est ce qui s’est passé entre autres à l’Athénée d’Anvers. Tant que l’on laissera pratiquer la stratégie de la tension, il n’y aura pas de solution et l’on court à l’affrontement majeur. Et aussi, tant qu’on parlera en termes d’interdiction et de rejet, aucun arrangement n’est possible. D’autant plus que dans la communauté musulmane, est née l’impression loin d’être fausse d’un rejet de l’Islam. On peut se poser la question : y aurait-il un tel débat s’il avait été question de la kippa ou de la croix chrétienne ?

 

Echec de l’intégration, confusion dans la question du port du voile, arguments religieux qui supplantent le politique qui n’en a pas, violences récurrentes, situation sociale intolérable. Où est l’issue ?

 

Deux politiques sont possibles : l’intégration ou le multiculturalisme. La tendance actuelle s’oriente vers la seconde. Le gouvernement a décidé de tenir des assises de l’interculturalité, à l’initiative de la CDH Joëlle Milquet. Les enjeux sont donc le droit à la différence et les accommodements raisonnables, autrement dit deux manières d’assurer une société multiculturelle. Les laïques brillent par leur absence.


L’idéal d’une société multiculturelle se heurte à une franche hostilité de la part d’une partie non négligeable de l’opinion publique. Elle apparaît comme un renoncement à sa propre culture, comme une acceptation de la domination de « l’Autre », comme la destruction de soi. Le plus bel exemple de refus du multiculturalisme est le journaliste français Eric Zemmour, d’origine Berbère. Voici ce qu’il écrivait dans le Figaro Magazine du 20 octobre 2009 : « À l’UMP comme au PS, on vante les mérites de la “diversité”. Ce concept sémantique est le fils du “droit à la différence” des années 80, et le frère idéologique des “accommodements raisonnables” qui, venus du Canada en passant par le traité européen de Lisbonne, nous contraignent à conclure des “compromis” avec la culture des migrants. L’antithèse de notre bonne vieille assimilation qui imposa la culture française, sa langue, son histoire, son mode de vie, aux vagues passées d’immigrants. » Il y a donc là un net refus d’une société multiculturelle qui implique le « droit à la différence » et la pratique de « l’accommodement raisonnable ». Ce « faiseur d’opinions » tient à tout prix au principe de l’assimilation. L’approche multiculturelle rencontre donc une hostilité même au sein des élites. En réalité, on refuse que « l’Autre » reste autre. Il doit renoncer à sa culture.

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Eric Zemmour : le provocateur

Dans son blog, le 23 novembre 2009, l’intellectuel bruxellois Henri Goldman écrit : « Mais revenons sur ce « droit à la différence », qui est brandi par les uns comme un étendard et par les autres comme un épouvantail. Pour les premiers, ceux qui s’y opposent sont effectivement des assimilateurs à la Zemmour , pour qui chaque personne qui migre doit se préparer à changer d’ancêtres. Pour les seconds, le droit à la différence servirait d’alibi au développement séparé en menaçant de balkanisation l’espace commun du « vivre ensemble », notre société se trouvant alors réduite à une mosaïque de petites chapelles ethniques ou religieuses juxtaposées.


Et pourtant, il est absurde d’opposer le « droit à la différence » au « droit à la ressemblance ». Ces deux droits sont les facettes indissociables du seul droit qui compte en l’occurrence, le seul qui puise sa légitimité dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme : le droit à la dignité. »


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Jacques Attali : contre l'assimilation
des... Juifs


Il y a aussi un paradoxe. Certains intellectuels partisans de l’assimilation comme Jacques Attali, y sont opposés lorsqu’il s’agit du peuple auquel ils appartiennent. Attali considère que l’assimilation des Juifs constituerait pour eux un danger mortel. On assiste en France à une mascarade sinistre : le débat sur l’identité nationale. Des propos d’une telle incongruité sont tenus, notamment par des ministres du gouvernement de Sarkozy que l’affaire prend une tournure grotesque.  La palme revient à la secrétaire d’Etat à la famille, Nadine Morano : « On ne fait pas le procès d'un jeune musulman. Sa situation, moi je la respecte. Ce que je veux, c'est qu'il se sente Français lorsqu'il est Français. Ce que je veux, c'est qu'il aime la France quand il vit dans ce pays, c'est qu'il trouve un travail, et qu'il ne parle pas le verlan. C'est qu'il ne mette pas sa casquette à l'envers
» Ces propos dénotent une mentalité nauséabonde qui rappelle le pétainisme. Le jeune musulman doit devenir Français, point barre. Il est vrai que Sarkozy, au début de son mandat, avait lancé le signal : « La France, on l’aime ou on la quitte. »


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La secrétaire d'Etat Nadine Morano multiplie
les déclarations pétainistes.


Cependant, ce débat sur l’identité nationale fait sortir certaines vérités. Voici ce que rapporte, sous la plume de Marie Lemonnier, le journal en ligne Nouvelobs.com : « Sortis peut-être pour la première fois de leur réserve coutumière, des musulmans français témoignent tout au long de ce dossier. Et brossent un portrait souvent inattendu de la réalité de l'islam de France. Combien sont-ils d'abord ? 4 à 6 millions, selon les estimations. Parmi eux, seuls un tiers se déclarent "croyants et musulmans", d'après un sondage Ifop d'août 2009. Et parmi ces croyants, seulement 23% fréquenteraient les mosquées qui font tant fantasmer. Seules 8% des femmes de moins de 35 ans disent porter souvent le voile. En revanche, la pratique du ramadan est plébiscité : 70% des musulmans français s'y conformeraient. Pour la majorité des Français nés dans des familles musulmanes, l'islam est moins un fait religieux que sociologique.


Ces données indiquent que l'islam français est tout sauf cet ovni social qui fait trembler le Château et menacerait de briser les tables laïques républicaines. Depuis 179 ans qu'elle est la deuxième confession de France, la religion musulmane n'a jamais composé une entité monolithique. "Ce manque d'organisation va d'ailleurs totalement à l'encontre du fantasme de domination, remarque le sociologue Ahmed Boubeker. Et si les communautés ne sont pas structurées, c'est justement parce qu'elles n'existent pas. Le plus terrible, c'est qu'on est en train de reprocher aux plus intégrés de ne pas l'être !" »


Il est donc clair que l’Islam en Europe ne représente pas le danger que la logique du « choc des civilisations » prétend qu'il soit. Certes, il ne faut pas négliger les minorités extrémistes comme les salafistes issus du Wahhabisme saoudien. Le même Nouvelobs.com
rapporte : « Objet de toutes les inquiétudes actuelles, le salafisme est une importation du wahhabisme saoudien qui visait à renforcer le pouvoir de l'Arabie saoudite dans le monde. Ce même pays où Nicolas Sarkozy est allé vanter les mérites de la religion en 2008... Il prospère auprès de jeunes gens de 18 à 35 ans convertis pour un bon quart d'entre eux. Ainsi, 12.000 Français salafistes contrôleraient une cinquantaine de mosquées. C'est par ses adeptes que "l'affaire de la burqa" a éclaté. » Ce n’est pas parce que cette menace est réelle qu’elle doit freiner le processus de cohabitation entre communautés différentes. Il faut raison garder en l’espèce et ne pas croire qu’il existe des réseaux organisés fonctionnant ou « dormant » dans une frange marginalisée de la société.


Une autre solution est envisagée : l’accommodement raisonnable. De quoi s’agit-il ?
Nés aux USA et utilisés au départ comme moyen de lutte contre les discriminations à l’embauche sur la base du handicap, les accommodements raisonnables consistent en des ajustements, des modifications à l'environnement ou à l'organisation du travail, mais raisonnables, c'est-à-dire n'engendrant pas de surcoûts démesurés pour l'employeur. Ils visent à permettre à des personnes moins valides ayant les qualifications requises de postuler ou d'occuper des emplois au même titre que des personnes valides ainsi qu'à leur garantir des droits et privilèges identiques


Le principe de ces mesures est de reconnaître que les êtres humains, dans leur grande diversité, ne sont pas tous égaux, comme le laisserait supposer le principe d'égalité formelle au cœur de nos systèmes législatifs. Bien au contraire, ils sont tous différents - sans que cela n'implique un jugement de valeur. En conséquence, si l'on décide de ne plus postuler une prétendue égalité de départ, mais que l'on veuille atteindre une véritable égalité "en substance" à l'arrivée, il faut admettre que des situations différentes requièrent des solutions différenciées. L'égalité n'est donc plus considérée comme la norme absolue de départ, mais comme un objectif à atteindre en mettant en place une batterie de mesures adéquates dont font partie les accommodements raisonnables. Quelques exemples : programmer des heures de non mixité dans les piscines, donner de la viande hallal dans les cantines scolaires pour les élèves musulmans, accepter le principe de congés religieux, etc. A première vue, ces mesures ne devraient pas poser de problèmes puisqu’elles ne gênent pas la vie en société et elles n’engendrent pas de discrimination, mais elles déclenchent un tollé aussi bien dans les milieux laïques que dans les groupes d’extrême droite, au point qu’il existe des associations prétendument laïques sont clairement fascisantes.

Quant aux accommodements visant à lutter contre les discriminations ethniques ou religieuses, on en trouve déjà trace dans le Civil Rights Act américain de 1964 à l'endroit des minorités religieuses. La législation européenne, quant à elle, ne mentionne pas explicitement la nécessité d'adopter de telles mesures pour remédier à ce type de discriminations. C’est au Québec que les accommodements raisonnables ont été mis en place pour la première fois. Ils ont fait assez rapidement l’objet de critiques virulentes de la part d’une large partie de l’opinion publique québécoise. « Ce qui vient de se passer au Québec donne l’impression d’un face-à-face entre deux formations minoritaires dont chacune demande à l’autre de l’accommoder. Les membres de la majorité ethnoculturelle craignent d’être submergés par des minorités elles-mêmes fragiles et inquiètes de leur avenir. La conjonction de ces deux inquiétudes n’est évidemment pas de nature à favoriser l’intégration dans l’égalité et la réciprocité. Nous pouvons en conclure que les Québécois d’ascendance canadienne-française ne sont pas encore bien à l’aise avec le cumul de leurs deux statuts (majoritaires au Québec, minoritaires au Canada et en Amérique).


Toutefois, il convient aussi de rappeler que plusieurs pays d’Occident connaissent aujourd’hui des malaises qui ressemblent à ceux qui ont été exprimés à l’occasion du débat sur les accommodements. Quand on compare la situation au Québec avec celle de plusieurs pays européens, on s’aperçoit que plusieurs craintes qui peuvent être justifiées ailleurs ne le sont pas nécessairement ici. » Ce constat est dressé par MM. Bouchard et Taylor qui ont été désignés comme les maîtres d’œuvre de la politique d’accommodements raisonnables dans la Belle Province.


Ce principe est très mal perçu dans les pays concernés. Caroline Fourest pose la question dans son dernier ouvrage (
[7]) : « Jadis, on se préoccupait de maintenir une certaine cohésion sociale. Aujourd’hui on s’inquiète davantage des tensions traversant le vivre-ensemble. Ce déplacement a son importance. Il indique qu’après des années de débat plutôt centrés sur les inégalités et les questions sociales, nous sommes davantage préoccupés par les interactions culturelles et religieuses. »

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Caroline Fourest : une laïcité radicale


Beaucoup de laïques refusent de comprendre que dans les sociétés arabo musulmanes, la religion occupe une toute autre place que dans la société européenne occidentale. Là se trouve la difficulté du débat : on n’arrive pas à se mettre à la place de l’autre. On craint l’émergence d’une société théocratique par une trop grande tolérance à l’égard de l’Islam. C’est la raison du rejet par beaucoup de laïques des accommodements raisonnables. Ils craignent que la religion supplante les règles de la société civile, que le principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, ou plutôt l’introduction du spirituel dans la sphère privée, soit bafoué. D’ailleurs, Caroline Fourest exprime cette crainte : « Comment maintenir un minimum de valeurs communes tout en répondant à l’inflation de dérogations formulées au nom de la culture et du religieux ? »


Cela confirme une fois de plus  que deux conceptions s’opposent : l’une considérant que la diversité est un des premiers droits de l’homme, l’autre estimant que les principes édictés en 1948 sont universels et immuables. Goldman conclut : « 
Droit à la ressemblance : personne ne peut être exclu de ce qui fonde notre commune humanité et qui se traduit par les droits et devoirs s’imposant à tous, chacun participant à égalité à la construction de la cité commune et au bénéfice de ses bienfaits. Droit à la différence : personne ne peut être obligé de renoncer à une part intime de son identité personnelle, laquelle n’est que partiellement un choix puisqu’on ne choisit ni ses parents ni sa famille ni sa langue maternelle ni l’ensemble des déterminations culturelles et anthropologiques à travers lesquelles on s’est constitué, de la petite enfance à l’âge adulte, comme une personne humaine particulière.


 
Il y a pourtant, si j’ose dire, une différence entre ces deux facettes : ce qui fonde le droit à la ressemblance, c’est-à-dire notre commune humanité, est invariant. Tandis que les différences culturelles sont en évolution permanente. Elles peuvent se modifier, s’amplifier, s’estomper, voire disparaître. Cette disparition est peut-être regrettable du point de vue du patrimoine culturel de l’humanité qui perdrait un peu de sa « biodiversité ». Mais si l’acculturation se produit sans contrainte ni pression, il n’y a rien à y redire. L’histoire de l’immigration montre même que l’affirmation des différences diminue très naturellement quand l’intégration dans la société – par l’emploi, l’école, le logement et la juste reconnaissance des mérites de chacun – progresse. C’est l’explication principale de la prolifération des foulards islamiques dans les rues : quand, malgré tous les efforts faits, on se sent relégué en marge de la société par la persistance de discriminations massives et de ségrégations qui ne s’avouent pas, la réaction passe souvent par l’affirmation d’une identité qui ne doit rien à la société d’accueil. »


Enfin, il ne faut pas oublier une autre peur qui envahit les esprits : la démographie galopante des allochtones finirait par nous absorber. Un aspect peu connu a été mis en évidence par Youssef Courbage et Emmanuel Todd : la faible fécondité dans le Moyen Orient. Dans un ouvrage qui n’eut pas le retentissement mérité (
[8]), les deux auteurs démontrent que nous sommes loin d’un insupportable différentiel démographique entre Dar al Islam
([9]) et l’Europe. Encore une peur non fondée ! Ils écrivent : « Quelques années après les hésitations de Descartes et de Pascal, la pratique religieuse s’effondre parmi les paysans du Bassin parisien, puis la fécondité. Spéculer sur l’émergence d’un Maghreb ou d’un Iran laïcisé n’est donc pas faire preuve d’une si grande audace prospective. »

 

Lors d’un débat télévisé, le ministre français Eric Besson, l’apprenti sorcier qui a lancé le faux débat sur « l’identité nationale », défendait le principe du « CV anonyme ». On encourage donc l’anonymat des demandeurs d’emplois allochtones dans les entreprises, tout en voulant interdire l’anonymat de la burqa dans la rue. Le ridicule et l’odieux forment un beau couple.


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Eric Besson : le ministre apprenti-sorcier

Bon sang, quand apprendra-t-on enfin à vivre ensemble ?

 

La cohésion sociale voulue par Caroline Fourest implique justement de pouvoir vivre ensemble entre personnes et groupes d’origines diverses. Les laïques feraient bien d’en tenir compte.


Et puis, au delà de l’effort de compréhension entre cultures différentes, de religion, la question est avant tout sociale. Ce ne sont pas des mesures législatives d’interdictions destinées à rassurer une opinion publique, volontairement placée dans l’inquiétude, qui résoudront le problème. Au contraire, elles ne feront que l’accroître. L’effort doit être fait dans le développement social des « quartiers », le logement, la scolarisation, la politique de l’emploi. Cela nécessite de très gros moyens, mais ils sont sans doute aussi urgents que ceux qu’on a débloqués aussi aisément pour sauver les banques. Après tout, la société vaut bien une banque.



[1]  BULARD Martine, DION Jack, L’Occident malade de l’Occident, Paris, Fayard, 2009.

[2] HUNTINGTON Samuel, Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 1997.

[3] LAURENS Henry, TOLAN John, VEINSTEIN Gilles, L’Europe et l’Islam Quinze siècles d’histoire, Paris, Odile Jacob, 2009.

[4] HUNTINGTON Samuel, Op. Cit., pp. 339-340.

[5] VERHAS Pierre, Copernic et la révolution copernicienne, Ciel et Terre, Vol. 125, n° 2, mars-avril 2009.

[6] L’expression « arabo musulmane » n’est pas tout à fait exacte. Il y a des Arabes non musulmans et il y a des musulmans qui ne sont pas Arabes. Par exemple : les Turcs qui forment une partie importante de l’immigration musulmane en Europe.

[7] FOUREST Caroline, La dernière utopie – menaces sur l’universalisme, Paris, Grasset, 2009.

[8] COURBAGE Youssef, TODD Emmanuel, Le rendez-vous de civilisations, Paris, Le Seuil, 2007.

[9] Littéralement, la « maison de l’Islam ». Désigne les territoires de religion musulmane.

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